UNE SINGULIÈRE ÉDITION DE PRÉSENCES AUTOUR DE THIERRY ESCAICH
Abordant cette année sa 28e édition, Présences, le festival de création musicale de Radio-France, dresse un portrait riche du compositeur et organiste Thierry Escaich.
Cris : Concert d’Ouverture
Basée sur la Fanfare/générique du festival composée pour l’occasion, l’improvisation inaugurale d’une quinzaine de minutes, signée par le Maître de cérémonie sur l’orgue Grenzing de l’Auditorium de la Maison de la Radio, développe des climats où les influences de Ligeti (façon micro-polyphonie) ou Florentz (dans les élans lyriques) se font sentir. Une improvisation croisant le métier de l’organiste liturgique et le jaillissement du créateur authentique, original et reconnaissable en un instant. On se souviendra notamment d’une remarquable coda, lente, aux harmonies délicieusement modales et aux registrations orchestrales (2′ dans l’aigu comme des piccolos).
S’en suit l’abstraction de Ground II, œuvre d’Escaich où le compositeur, toujours aux claviers, est rejoint par les percussions de Gilles Durot. Le geste rhapsodique, aux limites de l’atonalité, nous emmène dans une musique n’ayant pas l’air d’être conçue pour deux instruments, mais plutôt pour un orchestre symphonique.
Changement de plateau radical avant l’entracte pour le Motetten (2004) de Mauricio Kagel. Une octuor de violoncelle furtif, entre les lignes et les mondes (à l’image de la programmation de ce festival Présences), où la légèreté d’un rythme de barcarolle se croise avec des références directs à Lachenmann ou (évidemment au vu de la formation) au Messagesquisse de Boulez.
Une œuvre de la noirceur. C’est ainsi que Thierry Escaich parle de son Cris, oratorio pour grand chœur, octuor de violoncelles, percussions et accordéon, créé à Verdun en juin 2016. Une œuvre basée sur un texte original de Laurent Gaudé composé d’après son propre roman (Cris, Actes Sud, 2004), narrant des destins d’hommes, happés par l’enfer vécu dans la boue des tranchées.
Les univers de Gaudé et d’Escaich ont cela de commun qu’ils relèvent tous deux d’une dimension quasi cinématographique. Et cela, on le ressent profondément dans cette œuvre commune, que l’on suit tel un film, devenant une sorte d’opéra de concert, où le chœur et les instruments portent d’un même souffle le récit du narrateur-récitant. Le récitant, ce soir, n’est autre que Laurent Gaudé lui-même, dont on aura savouré la présence profondément musicale, insufflant un rythme effréné et un drame particulier à son propre récit. Dans ce dédale de théâtralité, on retiendra quelques moments forts, comme les premières mesures où une pulsation de vibraphone et des gestes arides nous plongent d’emblée au cœur de la peur des soldats et de la traversée d’une tranchée, ou bien les résidus de silence entendus lors du départ du héros pour l’arrière. Marquante aussi, l’apparition sonore d’un chœur invisible de déserteurs dans une simple chanson, ou bien encore le grand choral final coloré d’espoir, dans des harmonies évoquant Duruflé. Une œuvre dense, forte et très bien servie par des musiciens convaincus que dirige le bras ferme de Julien Leroy. (…)